L'affaire commence à prendre de l'ampleur et pas seulement de l'autre côté de la Manche : Deux publicités de Louis Vuitton ont été interdites au Royaume-Uni, parce que jugées trompeuses. Cette campagne, diffusée également en France, montrait une femmes qui coud une poignée sur un sac à main, et une autre qui crée les plis d'un portefeuille.
L’autorité de régulation publicitaire, l’ASA, saisie par trois plaintes, a jugé que ces publicités pouvaient faire croire aux consommateurs que ces produits étaient entièrement faits à la main.
Et voilà où le bât blesse!
Cela pourrait d'ailleurs presque devenir un sujet de bac professionnel : jusqu'où s'arrête l'artisanat? et ou débute l'industrie du luxe en l'occurrence. Peut on être artisan dans l'industrie du luxe?
En effet, cette campagne voulait démontrer que Louis Vuitton produit de façon artisanale ses produits et principalement sa maroquinerie. Un hommage aux artisans ou un argument commercial?
Au delà des campagnes ouvertement commerciales avec mannequins posant de façon alanguie, vêtus et accessoirisés de toute la production de la saison, ou des campagnes institutionnelles shootées par Annie Leibovitz et sa noria peopolo/politico/astro/footbalistico (Sean Connery, Catherine Deneuve, Gorbatchev, Buzz Aldrin, Zidane), Vuitton souhaitait rappeler que ses produits étaient de qualité puisque fabriqués en tout ou partie par des artisans. Cette campagne était donc censée démontrer le savoir faire de la maison Vuitton et fêter ainsi les 150 ans de l'atelier historique d'Asnières.
Etait-ce la bonne stratégie?
A priori non puisque cette condamnation oblige à se questionner sur ce qu'est ce fabriqué main, fabriqué maison, fabriqué français...
Il ne faut pas être dupe : pour fournir ses centaines de magasins (1.164 magasins pour la division mode et maroquinerie LVMH) dont le dernier flagship ouvert en grandes pompes la semaine dernière à Londres, conçu par l'architecte maison de renommée internationale (Peter Marino), regorgeant d'oeuvres contemporaines, et de people habillées pour l'occasion, et ses centaines de milliers de clients de par le monde, dont la Chine avide de produits de luxe, il est nécessaire de fabriquer vite et bien.
- Vite car les collections se succèdent à un rythme d'enfer pour générer l'envie : des modèles classiques régulièrement revisités par des artistes contemporains (Murakami, Sprouse, Prince), ou de nouvelels toiles (damier graphite), aux collections exclusives des défilés, l'approvisionnement des boutiques ressemble désormais pratiquement à celui des H&M et Zara qui renouvellent leur collection tous les 15 jours.
Le rapport annuel 2009 s'enorgueillit d'ailleurs d'une offre sans cesse enrichie.
- Bien car le prix doit pouvoir se justifier.
Justement ce prix. Comment le justifier? Cet aspect fait main n'est sans doute pas le bon angle d'explication.
Une chose est certaine, c'est payant pour LVMH dont la marge opérationnelle ressort à 20% mais cette marge passe à 31,5% pour la division mode et maroquinerie et celle de Louis Vuitton Malletier friserait les 50%!
Alors quand il est précisé toujours dans le rapport annuel que les artisans façonnent.. qui sont ces artisans? combien sont ils? quelle est leur contribution dans la production du groupe?
Qu'est ce qu'être artisan chez Louis Vuitton. Les ouvrières (ou ouvriers) des usines réparties sur toute la France, celles d'Espagne, celles de Roumanie sont elles considérées comme des artisans?
Le fait main n'est pas non plus une notion claire car de tout temps l'artisan a eu besoin de machines pour réaliser son travail. Il faut cependant définir effectivement où s'arrête le travail de l'artisan et ou débute celui de l'ouvrier qui amène d'énormes rouleaux de toile enduite pour une découpe industrielle avant de la coudre avec des machines.
En l'espèce, Vuitton n'a pas pu ou voulu définir la part des tâches exécutées à la main et celles des machines à coudre manuelles.
Cette interdiction de publicité en Angleterre s'ajoute à la décision de Vuitton de ne pas signer la charte dénommée Agnès B s'engageant à fabriquer plus en France, et défendre le savoir faire français.
Au delà du fait main, de cette notion relative, s'ajoute celle du lieu de production.
Parce que le prix se justifiera d'autant mieux que la part de l'humain dans la production est importante et que cet humain est français avec une formation et des coûts salariaux importants.
Finalement si ces sacs tant convoités sont fabriqués de façon industrielle (mais cela n'est pas désobligeant puisqu'on parle bien d'industrie du luxe), hors de France (ce qui n'est pas non plus horrifiant, les ouvriers des autres pays ont aussi une expertise), qu'est ce qui va les différencier des contrefaçons de plus en plus réussies que l'on trouve très facilement sur des sites de ventes aux enchères ou bien même dans la rue à Paris (venez faire un tour au métro Château Rouge, dans le XVIIIème)?!
Et bien nous en revenons à l'argument premier : les clients seraient prêts à payer plus chers s'ils savent que des artisans français façonnent effectivement ces fameux sacs!
Il aurait sans doute fallu préciser que cet artisanat se trouvait principalement à l'atelier d'Asnières, et dans ses commandes spéciales qui représentent entre 300 et 400 demandes par an (à rapporter au nombre de sacs global vendu par la marque)
Pour le reste, nous sommes prêts aussi à payer parce que derrière cette marque, il y a un patrimoine, des codes, des innovations, une qualité, de beaux magasins, de belles publicités... à démontrer au travers d'une autre campagne de communication!
Dernière question : cette information sur l'interdiction de publicité de cette campagne sera t'elle relayée dans les magazines de mode que nous lisons?
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